domingo, 14 de agosto de 2011

Khouribga. Les émeutes du phosphate

do telquel-online.com
Les protestations ont commencé fin février.

La capitale des phosphates est sous les projecteurs depuis des mois. Les demandeurs d’emploi ne lâchent pas prise et continuent de manifester devant les installations de l’OCP. Reportage.

Samedi 23 juillet, L’mfassiss, à 15 kilomètres de Khouribga. Le soleil tapant de ce début d’après-midi n’a pas dissuadé des centaines d’habitants de cette petite bourgade de venir manifester devant l’usine de l’OCP. Objet du sit-in : demander de l’emploi. Cela fait plus de trois mois qu’ils campent devant cette unité de lavage du phosphate, la principale de la région. A quelques mètres du portail, des tentes de fortune ont été montées pour abriter les manifestants contre le soleil et les montagnes de poussière blafarde qui se dégagent des usines. Le message est on ne peut plus clair : “Mamfakinch !”. “L’Office a exproprié nos terres en contrepartie de sommes dérisoires et exploite les richesses de la ville, alors que nous, on vit dans la misère. Nous voulons juste du travail pour pouvoir survivre”, tonne Echarfi Allafi, habitant du village. Visage pâle et cernes sous les yeux, ce quadragénaire affirme qu’en dehors de l’OCP, il n’y a pas de vie au village. Comme pour corroborer ses dires, le panneau implanté devant l’usine indique que “le phosphate, c’est la vie”.

Le grand malentendu
La doléance de ce Kouribgui résume à elle seule le gap qui sépare les habitants des villes phosphatières et l’Office chérifien. D’un côté, une population jeune, pour qui être embauché par l’OCP est son droit le plus naturel. Elle fait valoir son droit sur les richesses de son sous-sol et argue les bons et loyaux services des premières générations qui ont travaillé dans les usines de l’Office. De l’autre côté, une entreprise publique, l’une des plus importantes du royaume, qui ne veut (et ne peut) pas troquer son équilibre économique contre une hypothétique paix sociale. Résultat : un décalage frappant entre l’Office et son entourage. C’est, grosso modo, le quiproquo qui explique le bras de fer opposant l’OCP et les villes phosphatières depuis des mois.
“La possibilité de migrer en Europe, qui a longtemps nourri l’espoir des jeunes de ces régions, s’est évaporée. Aujourd’hui, c’est l’OCP qui représente la porte de sortie pour cette jeunesse”, explique Miloud Kharmoudi, habitant à Khouribga et chercheur en économie sociale. “Les gens qui travaillent à l’OCP ont un niveau de vie très élevé par rapport aux autres, ce qui fait que tout le monde aspire à intégrer l’OCP”, renchérit Mostapha, un jeune habitant de Boujniba, village situé à 10 kilomètres de Khouribga. En fait, la question du travail n’est que la partie visible de l’iceberg. Les griefs que les habitants retiennent contre l’Office chérifien sont nombreux : la qualité dégradée de l’eau, les maladies dont ils souffrent ainsi que leur bétail, les pensions dérisoires des retraités...Tous leurs maux sont imputés à l’Office, ce qui rend toute solution quasi impossible.

L’emploi d’abord !
Avec le vent du “printemps arabe” qui a soufflé sur le royaume, la tension est montée de plusieurs crans dans les villes phosphatières. Les premières escarmouches entre les deux protagonistes ont commencé en février dernier. Des centaines de jeunes et fils de retraités de l’Office son sortis à Khouribga pour revendiquer “le droit à un recrutement prioritaire, immédiat et inconditionnel au sein l’OCP”. La tension atteint son summum le 15 mars quand les manifestations, pacifiques au début, prennent une tournure dramatique. Ce “mardi noir”, des centaines de Khouribgui s’attaquent aux locaux de l’OCP, dans le quartier administratif. Plusieurs départements de l’Office subissent ainsi des actes de vandalisme.
Quelques semaines plus tard, la contagion se propage aux autres villes et la ligne ferroviaire de Youssoufia, qui achemine le phosphate vers Safi, est bloquée par les manifestants. A l’origine de l’escalade, une rumeur selon laquelle l’OCP aurait recruté plus de 1000 Sahraouis et jeunes de l’Oriental. “Là où le bât blesse, c’est que les actes de vandalisme sont intervenus après l’annonce d’un vaste programme de recrutement et de formation. Une opération jamais vue au Maroc. Malgré cela, les manifestants ont continué sur leur lancée”, déplore Mohamed Soual, conseiller auprès de Mustapha Terrab, PDG du groupe. Et d’ajouter : “Le problème a deux facettes. Primo, l’Office ne peut pas dépasser ses besoins en recrutement, sinon l’équilibre de l’entreprise sera mis à mal. Secundo, l’activité de l’OCP est hautement sensible et demande un niveau de qualification de plus en plus élevé, ce que nous ne trouvons pas facilement”.

Opération sauvetage
L’Office se retrouve donc entre le marteau de sa responsabilité sociale et l’enclume de la rentabilité, dans un marché de plus en plus concurrentiel. Et démêler cet écheveau est loin d’être une mission de tout repos. Le lancement de “OCP Skills”, un programme qui vise l’emploi de 5800 personnes et la formation de 15 000 autres, en plus d’une aide à la création d’entreprise (qui coûtera à l’Office la bagatelle de 400 millions de dirhams) n’a pas apaisé les esprits. Aussitôt ce plan annoncé, il y a deux semaines, les bureaux de l’Office ont été pris d’assaut pour le dépôt des candidatures. Au total, quelque 90 000 habitants des villes phosphatières ont postulé. L’opération a cependant tourné court dès le début des sélections. Les personnes qui n’ont pas reçu de convocations ont rompu la paix provisoire. “Au début, il y a eu un cafouillage dans l’acheminement des convocations pour les 21 000 personnes concernées, vu la masse des envois qui ciblent plusieurs communes. Après, le bouche à oreille a joué et les personnes qui n’ont pas été convoquées ont embrasé à nouveau la ville”, indique-t-on auprès de l’OCP. Les jeunes chômeurs, de leur côté, affirment que l’opération ne s’est pas déroulée dans les règles de l’art. “La sélection n’a pas été transparente. Plusieurs personnes titulaires de diplômes ont été exclues alors que d’autres, sans qualifications, ont été retenues”, tonne un jeune Khouribgui. C’est dire à quel point les ponts sont coupés entre les deux parties. “Nous sommes déterminés à aller jusqu’au bout, on ne bougera pas d’ici tant que la direction de l’OCP ignorera nos revendications”, nous assure ce Khouribgui. Affaire à suivre.


Arrestation. Silence, on sanctionne !
Les violents affrontements qui ont opposé les manifestants (demandeurs d’emploi) et les forces de l’ordre se sont soldés par un bilan très lourd : des centaines de blessés (des deux côtés) et d’importants dégâts matériels. Des dizaines de jeunes, arrêtés, ont ainsi été déférés devant la justice. Mercredi 20 juillet, la Cour d’appel de Khouribga a rendu son verdict : 11 d’entre eux ont écopé d’un an de prison ferme et de 2000 dirhams d’amende. En plus, ils doivent verser 1,5 million de dommages et intérêts pour le compte de l’OCP. Le jugement a suscité l’indignation des habitants de la capitale des phosphates. A Boujniba, on affirme que les rafles se sont faites de façon aléatoire. “Quelques heures après la fin des affrontements, les forces de l’ordre sont descendues dans la rue et ont commencé à arrêter tous les jeunes qu’ils rencontraient sur leur chemin”, indique le père de Tarik Addai, un jeune détenu. Quinze autres personnes sont en garde à vue dans la prison locale de Khouribga, en attendant leur jugement.

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